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mij2014
10 avril 2015

Un feutre à larges bords

 

C’était la semaine passée… mercredi, oui, le lendemain du jour où on s’est vus, Marcel.

 L’après-midi, trois heures plus ou moins. J’essuyais machinalement des verres qui n’en avaient pas besoin, question de passer le temps.  Le bar était presque vide : juste le vieux qui vient tous les jours pour lire, devant un café, le journal qu’il ne paiera pas, et dans le fond, deux jeunes, un garçon et une fille qui ne laisseraient pas de pourboire. La porte était ouverte et le ventilateur ne brassait que des relents de diesel.

L’homme au chapeau s’est encadré dans l’embrasure de la porte. Il était grand, il a occulté toute la lumière. Il s’est immobilisé un moment qui m’a paru long ; sans doute, il cherchait quelqu’un. Puis il est entré et il s’est assis sur la banquette sans ôter son chapeau, un feutre brun à larges bords. Par cette chaleur, tu imagines !

Sans me jeter un regard il a commandé une chope.

 

Une heure, il est resté là, sans bouger, son chapeau vissé sur la tête, devant sa bière qui tiédissait. Il ne quittait pas des yeux la porte du bar.

Des gens sont arrivés, le café s’est vite rempli, c’est pas grand, tu connais ! Avec son grand corps et son bras étendu sur la banquette, il occupait deux places. Deux touristes ont voulu s’asseoir sur les chaises devant lui. Il les a regardés à peine, il a fait non de la tête en grommelant « occupé ». Les deux autres sont ressortis aussi sec.

 

Au bout d’une heure, une fille est entrée. A le voir, lui, j’ai tout de suite su que c’était elle. Il a ramené son bras, il s’est redressé mais il ne s’est pas levé. Elle a pris tout son temps pour pénétrer dans le bar, comme une qui entre en scène et qui s’apprête à se le faire, son public. Elle était encore jeune, une masse rousse de cheveux crépus, presque jusqu’aux épaules, un pantalon taille basse et un petit top moulant qui ne laissait rien ignorer de ses bouts de seins. Elle s’est plantée devant lui et elle a dit tout haut : « Alors, tu l’enlèves, ce chapeau ! » Et elle a ajouté : « Devant une dame… »

 Moi, au bar, je l’ai bien entendue !

 

Il l’a ôté, son chapeau, avec précaution on aurait dit et il l’a posé sur la table. Son crâne était lisse comme un œuf et blanc, avec une grosse cicatrice rougeâtre qui le coupait en deux.

Le coude sur la table et la joue appuyée sur son poing, elle l’a toisé un moment puis avec un rire sec elle a saisi le feutre sur la table et d’une tape, elle l’a enfoncé dans sa tignasse.

Elle s’est tournée vers moi, debout comme un poireau derrière le bar. Elle a levé le bras et d’une voix claire elle a commandé : « Garçon ... une fine à l’eau, avec des glaçons. »

Je la lui ai servie, sa fine, sans lui jeter un regard.

 

Jenny

 

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