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mij2014
27 mai 2014

Gorgone

La journée avait commencé comme toutes les journées. Arnaud prenait le petit déjeuner, deux Cracottes et un café. Comme tous les matins, sa femme s’éternisait dans la salle de bains. Arnaud n’était pas du genre compliqué, aussi lorsqu’ils s’étaient mis en ménage et qu’elle lui avait formellement interdit de la déranger lors de sa toilette matinale, il avait obtempéré sans même poser de question. Avec sa femme, Arnaud avait arrêté de poser des questions. C’était bien comme ça. En buvant son café, donc, Arnaud tapotait distraitement sur son smartphone faisant l’inventaire de ses rendez-vous du jour.

« Tiens, chérie, cria-t-il soudain, je suis libre à midi, si tu veux on peut déjeuner ensemble ?

-          Mais non, lui répondit-elle aussitôt, tu sais bien que le mardi je vais chez le coiffeur »

Ah oui ! Ah oui ! mardi, jour de grand nettoyage : esthéticienne, coiffeur, manucure, la panoplie complète. Sumède (mais oui, c’est son nom, allez savoir pourquoi) faisait de sa beauté un sacerdoce. C’est sans doute pour cela qu’elle étudiait aussi aux Beaux-Arts.

-          Eh bien, lança ironiquement Arnaud, je crains le pire !

La radio annonça qu’un accident venait de se produire et des ralentissements à craindre, aussi Arnaud se pressa soudain pour ne pas arriver en retard à son premier rendez-vous. Monsieur Duchatel était du genre tatillon et pouvait foutre en l’air une négociation pour 5 min de retard. Il traversa le hall et sa galerie de statues – ces figurines d’homme auxquelles Sumède était tant attachée, on ne sait pourquoi, sortes d’exercices de nu qu’elle devait réaliser aux Beaux-Arts, pensait Arnaud. Réalistes, mais pas très esthétiques… Bref, Arnaud cria à Sumède qu’il partait vite, ouvrit la porte et, arrivé dehors, se rendit compte qu’il n’avait pas ses clés. Il rentra, chercha partout en bas, en vain, puis se souvint qu’il devait les avoir laissées dans la poche de son pantalon à la salle de bains. Obnubilé par l’idée de son retard possible, il monta quatre à quatre les escaliers, poussa la porte de la salle de bains. A ce moment, Sumède enleva la serviette qu’elle avait sur la tête et laissa échapper un imbroglio de serpents en lieu et place de ses cheveux. Elle fit face à Arnaud, une face énorme et laide, d’une laideur innommable. Sumède était une gorgone.

« Mais enfin, Chérie, dit calmement Arnaud, ne te mets pas dans cet état ! Quand je te disais que je craignais le pire, c’était, tu sais bien, une façon de parler, c’était ironique, quoi…

-          Ne me regarde pas comme ça, dit-elle d’une voix menaçante.

-          Mais enfin, c’est absurde, calme-toi…

-          Arnaud, ne me regarde pas comme ça !

Sa voix se voulait suppliante, mais en fait elle était caverneuse et rauque.

-          NE ME REGARDE PAS, hurla-t-elle.

Trop tard. Arnaud n’eut pas le temps de réagir, ni d’en dire plus, le regard de feu de Sumède l’avait transformé en statue. Maintenant il comprenait l’origine de la galerie des plâtres…

Maintenant, Sumède remettait tout en ordre - vous avez compris, n’est-ce pas ? Sumède quand tout était en ordre, Méduse quand tout était en désordre.

Pendant ce temps, les files causées par la bétonneuse qui s’était renversée sur l’E40 se résorbaient.

Au même moment, Monsieur Duchatel regarda sa montre et pensa que son fournisseur, Arnaud Lafayette des entreprises Cimentec aurait du retard. Et cela le mit de mauvaise humeur. Il regagna son bureau avec des pieds de plomb.

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