Personnage A - Isabelle F : Elle, sans prénom -

A 34 ans, se retrouve à l’hôpital, tient la main de son ami mourant ou déjà mort peut-être.

A 17 ans, rêve successivement de.  Prendre l’avion pour l’Australie.  Faire du stop jusqu’en Provence.  S’engager comme jeune fille au pair en Autriche.  S’inscrire comme étudiante à New York.  Apprendre à jouer de l’harmonica.  Partir à Venise, seule, en hiver.  Se réveiller tétraplégique avec une bonne excuse pour ne plus devoir bouger.  Etre victime d’un tremblement de terre, sauvée au bout de 10 jours.  Rencontrer un pauvre vieux fou, se prendre de passion pour lui.  Se mettre à la peinture.  S’endormir comme Cendrillon le temps de l’adolescence, être réveillée par un prince charmant au jour de l’âge adulte.  Rêver.  Rêver vouloir.  Et rester.  Ici.  Maintenant.  Sans rien changer, sans rien pouvoir.  Attendre.  Que le temps passe.  Que quelque chose se passe.  Espérer, pourtant, mais  ne rien parvenir à concrétiser.  Regarder passer le temps.

A 14 ans, regarde son corps nu dans la glace et ne le voit pas.  Transparente.  Elle s’est perdue au fond d’elle-même à la sortie de l’enfance.  Qu’est-ce qui l’empêche de prendre pied dans la vie, tout simplement, facilement, naturellement, légèrement ?  

A 13 ans, d’un pas lent, ennuyé.  Elle ne pense pas à saluer le merle moqueur, elle ne caresse pas la brise sur sa joue, elle oublie de lever la tête au ciel.  D’un pas lent, ennuyé, contraint, elle suit son chien qui lève la patte chaque jour sur le même buisson, forcément rabougri.  Elle promène le chien de sa grand-mère malade, vieille rombière.  Parce qu’il faut bien.  Fille obéissante.  Elle voudrait disparaître derrière la haie quand passe quelqu’un qui la voit à l’autre bout de la laisse du bête toutou.

A 7 ans, copine comme cochon avec le voisin.  Sur son vélo dans la rue du matin au soir.  Du soir au matin dans la tente du jardin.