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mij2014
13 février 2014

Personnage A : Maryse, l'amnésique - Marie-Astrid

Elle ne sait plus comment elle s’appelle, elle ne sait plus d’où elle vient, ni ce qu’elle aime ou déteste. Elle ne sait plus où sont ses repères, elle est la bouteille à la mer, mais la bouteille, pour le moment, est vide. On lui a dit qu’elle avait 35 ans, qu’elle s’appelait Maryse Bouvier. Elle porte une cicatrice sur le visage. Une balafre à la joue droite. Elle ne sait pas encore qu’elle a eu un accident de voiture et personne ne sait si c’est un accident ou une tentative de suicide. C’est l’hiver, et malgré la chaleur de l’endroit, elle a froid. Elle a toujours eu froid.

Toute petite déjà, à 5 ans, elle se blottissait contre le radiateur de la cuisine dans la grande maison où le courant d’air faisait partie de la famille. Une grande maison de ville aux châssis écaillés qui, pour la plupart, ne fermaient qu’à moitié. Elle a toujours eu froid dans sa chambre sibérienne, dans son lit éternellement glacé. Nez rougi et pieds transis, elle ne parvenait pas à s’endormir avant de longues heures.

Elle ne porte plus d’alliance, mais son doigt en porte la marque. Lui a-t-on ôté à son entrée à l’hôpital, ou bien l’a-t-elle elle-même enlevée ? Elle ne sait plus qui a partagé sa vie. Elle part sur cette idée : je suis mariée. Elle ne sait plus qu’elle porte l’alliance de sa grand-mère adorée. Qu’elle a toujours juré de ne jamais s’en séparer, qu’à 15 ans, elle a fui le domicile familial pour parcourir près de 300 km pour retrouver sa grand-mère. Depuis lors, elle a coupé les ponts avec ses parents et avec son frère. Elle avait alors les cheveux longs et fins qu’elle tenait toujours attachés d’un chouchou noir. Elle était déjà maigre, à cause de la colère qui l’habitait, qui la bouffait.

Ce qui la bouffe aujourd’hui, c’est le trou dans sa vie. Ce trou noir quand elle ferme les yeux, l’abîme qui s’ouvre devant elle. On ne lui a pas encore dit qu’elle avait effectivement un mari, qu’ensemble ils ont eu une fille, Celia. Qu’il a été question d’un autre enfant et que c’est peut-être de là que tout est parti : la séparation, la fuite une fois encore. Elle fuit parce qu’elle ne peut pas faire face. Aujourd’hui, elle a fui une troisième fois, elle a fui dans l’oubli…

Il lui faudra du temps, quelques années sans doute où, au départ de rien, elle essaiera de reconstruire, de redevenir quelqu’un. Car dans sa perte d’identité, avec le peu qu’on a retrouvé sur elle, personne n’a pu faire le lien avec son passé. Ses proches l’ont enterrée et font leur deuil. Maryse Bouvier, 1967-2003. Une boite vide repose dans un cimetière de Sainte Ode.

Et dire qu’elle ira vivre à 30 km à peine de là, qu’elle passera plusieurs fois par mois devant sa tombe.

Au bout de dix longues années, elle se retrouvera dans son appartement, resté intact depuis sa disparition. Elle ne saura pas immédiatement que c’est chez elle, elle découvrira en fouillant chacune des pièces la vie de cette femme, de cette Maryse Bouvier d’avant 2003. Puis il lui faudra faire sienne cette vie étrangère. Mais peut-on vraiment ?

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